Céline Weissier – Les mots à la page

Extrait d’une biographie familiale

Extrait d'une biographie familiale


*Par souci de confidentialité, les noms des lieux, personnes et établissements ont été modifiés.


« Au début des années 70, le centre de Nocé semble figé dans le temps. Église, mairie et école forment toujours le même pittoresque ensemble, épicentre des échanges quotidiens. Dans la ferme familiale, Louis reste aux ordres de son autoritaire papa, encore maire du village. Les relations sont difficiles entre les deux hommes et le temps n’aplanit pas les mœurs. Louis travaille dur. Chaque semaine, Raymond le récompense de quelques pièces, juste bonnes à aller boire un verre ou à sortir ça ou là, ce dont profite alors le jeune trentenaire.


Sur la place de Nocé, blotti entre la rivière et l’église Saint-Martin, le restaurant L’épi d’or attire les jeunes gens des environs. Ambiance feutrée, clientèle chic, voire distinguée, la qualité des plats n’est cependant pas la seule origine de ce succès.


Michel Carape, maitre des lieux cultivé, amateur de jazz à la conversation des plus enrichissante, anime ce lieu singulier avec toute la force de son caractère. Ici, le coq au vin est succulent et se déguste sur fond de saxophone, de piano et de trompette. La salle est petite, mais intime. Sous les poutres, une trentaine de couverts attendent les gourmands des environs, dans une ambiance très club.


Mais surtout, Michel est un homme qui charme par sa délicate présence. Avec ses lunettes rectangulaires aux armatures épaisses, sa barbe bien fournie et son regard doux, beaucoup d’habitués viennent pour échanger quelques mots avec lui au comptoir, savourant simplement un verre ou encore sa divine mousse au chocolat dont la réputation semble avoir gagné les alentours.


Ce soir de mai 1970, Louis attend son ami Philippe à L’épi d’or. Celui-ci doit arriver de Nogent-le-Rotrou en 2CV. Les parents de Philippe sont également agriculteurs et les deux jeunes hommes partagent des intérêts communs.


Enfin, Philippe pousse la porte du restaurant, salue son ami et vient le rejoindre à sa table. La soirée peut commencer ! La discrète soeur de Philippe, Brigitte, s’assoit au bar et entame la conversation avec Michel dont elle apprécie la compagnie. Venue pour se détendre, elle peut enfin penser à autre chose qu’à l’intendance de la maison familiale, qu’elle gère depuis l’hospitalisation de ses parents à la suite de leur accident de voiture à Marseille. Aussi, elle a très envie d’une réconfortante mousse au chocolat. Elle se détend enfin, profitant de l’intimité du lieu, de la douceur du cacao et de la musique.


Dans le restaurant, les fumeurs sont légion. Brigitte fouille dans ses affaires et doit se rendre à l’évidence. Elle n’a plus de cigarettes. Son frère la dépanne, et la présente à Louis. Ce dernier lui propose de se joindre à eux.


─ Non, non, je ne m’assois pas, répond-elle en rejoignant le bar.


Et c’est charmé par le jeune homme, que Brigitte allume sa cigarette, rêveuse… »